Les psychomotriciennes

Droite, gauche, haut, bas, devant, derrière… Si nous étions des cubes, ce serait déjà compliqué. Mais nous avons une tête, un tronc, deux pieds, deux mains, dix doigts, etc. Et tout cela peut bouger de manière coordonnée ou dissociée ! Pour aider les jeunes déficients visuels à apprivoiser cette complexité, à être bien dans leur corps et avec les autres, la Fédération des aveugles a obtenu le financement de deux équivalents temps plein de psychomotricité. Afin de vous en dire davantage, j’ai rencontré Marie-Pierre ANCÈLE.

– La psychomotricité ne sert donc plus à l’âge adulte ?

– Si, car lorsque le corps ou la vision se modifie, il faut réajuster son rapport à soi-même, aux autres et à l’environnement. Par exemple, quand on perd la vue, on va souvent prendre inconsciemment des postures particulières pour voir mieux, ce qui peut entraîner des contractures. Ou encore, l’effort d’attention supplémentaire va perturber la respiration. La psychomotricité permet alors d’en prendre conscience et de dénouer son corps, grâce à la relaxation notamment. Mais elle n’est toujours pas remboursée par la Sécurité Sociale. Les adultes peuvent donc consulter en libéral, mais ils ne seront pas remboursés.

– Motricité, on comprend bien ; mais pourquoi psycho ?

– D’abord parce que notre objectif général est la conscience du corps et qu’il ne suffit pas pour cela de pouvoir se regarder dans une glace. Les autres perceptions et le langage sont au moins aussi importants, et l’on peut avoir des difficultés psychomotrices tout en voyant parfaitement. Ensuite se sentir bien dans son corps donne de la sérénité et de l’assurance. Enfin, l’envie de bouger, de s’ouvrir aux autres et au monde ne va pas de soi pour un enfant déficient visuel.

– Pourriez-vous nous expliquer cela concrètement ?

– Un bébé aveugle ou très mal-voyant a moins de motivation à bouger, il n’est pas attiré visuellement par ce qui bouge autour de lui ; ce sont les adultes qui viennent à lui et le sollicitent. Comme il ne peut pas le suivre du regard, le jouet qui échappe à sa main n’existe plus, et s’il fait du bruit en tombant, ce sera d’abord pour l’enfant un mystère inquiétant. Il faut donc le familiariser avec les bruits, lui donner confiance dans la continuité du monde autour de lui, et l’envie d’aller à la rencontre de ce monde. Nous commençons par solliciter le désir et le plaisir de la découverte par des sons, des formes, des textures et des mouvements variés et amusants. Même les odeurs stimulent la curiosité.

– Quelles sont les étapes suivantes ?

– Le second objectif est que l’enfant construise ce que nous appelons son schéma corporel, c’est-à-dire qu’il prenne peu à peu conscience que son corps s’organise autour d’un axe vertical qui détermine le haut, le bas, le devant, le derrière, la droite et la gauche. Avant même que l’enfant ne marche et ne parle, nous l’incitons à ramper sur des tapis de différentes textures, à plat ventre, à plat dos ou sur les fesses ; nous lui proposons de se déplacer en suivant notre voix ou un objet musical, de traverser un tunnel… pour qu’il ressente son corps en mouvement, avec son poids et son volume. Pour les bébés qui voient un peu, nous faisons souvent des séances en duo avec les orthoptistes. Cela leur permet de savoir comment le bébé utilise sa vision en mouvement, et cela nous permet de mieux comprendre les conséquences de ses difficultés visuelles sur la motricité. Mais le langage joue aussi un grand rôle pour aider l’enfant à comprendre et à nommer cet environnement avec précision. Les petits déficients visuels doivent connaître tout cela beaucoup plus tôt que les autres, car c’est à partir de leur propre corps qu’ils vont orienter le monde.

– En fait, vous préparez l’apprentissage de la locomotion ?

– Bien sûr, mais pas seulement. Par exemple, nous avons toute une série de tapis (en moquette, en éponge, en caoutchouc…) et de plaques tactiles : en métal froid et lisse, en carrelage frais à gros grain, en bois tiède à grain fin, etc. Ces objets éveillent d’abord le toucher des mains et de toutes les parties du corps. C’est seulement par la suite qu’ils faciliteront la reconnaissance des changements du sol avec les pieds et la sensibilité indirecte avec un bâton qui sera utile pour la canne blanche. D’autre part, l’aisance corporelle est importante pour des activités plus statiques et plus minutieuses de la vie quotidienne, comme manger tout seul, par exemple.

– Et pour les plus grands ou les adolescents ?

– Nous allons chercher à affiner la conscience de leurs postures, de leurs gestes, les aider à moins se fatiguer, leur apprendre à se relaxer. L’intégration scolaire, ça demande beaucoup d’énergie. En résumé, pour s’ouvrir aux choses et aux gens, il faut partir de soi au double sens du mot : commencer par se connaître, explorer ses potentialités, puis les utiliser pour sortir de soi, aller vers les autres et vers le monde.

Propos recueillis par Bertrand VÉRINE dans le cadre de l’élaboration de l’Union Info.

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