Quand les autres enfants portent du prêt à étudier, c’est du sur-mesure que mettent dans leur cartable les jeunes handicapés visuels scolarisés en intégration grâce au SAAAIS de l’Union des Aveugles. Ce travail de transcription et d’adaptation est effectué par trois spécialistes : Marie-Hélène SARRAZY et Sébastien CARRERA réalisent les agrandissements en gros caractères ; Emmanuel LE GAGNE produit les documents en braille et en relief.
– Les progrès informatiques ont dû beaucoup changer votre travail ?
– Pas du tout ! contrairement à ce qu’on pourrait penser : aucune automatisation n’est possible pour l’adaptation en gros caractères, l’essentiel du traitement reste manuel. En effet, nous devons obtenir deux pages pour chacune des pages d’un livre. Or le graphisme à la mode chez les éditeurs est fait pour attirer l’œil, mais devient très souvent confus pour un jeune handicapé visuel : certains paragraphes commencent à gauche et finissent à droite, d’autres sont interrompus par des illustrations ou, au contraire, mal séparés les uns des autres… Nous sommes donc obligés de procéder toujours en trois étapes : d’abord photocopier la page pour la grossir, puis découper les éléments pour les structurer en deux pages agrandies cohérentes, enfin rephotocopier les deux pages au propre.
– Et pour les illustrations, comment faites-vous ?
– Là aussi, c’est un vrai travail d’adaptation : pensez qu’un manuel de géographie peut contenir jusqu’à trois cents cartes ! Nous les reproduisons en noir et blanc, pas tellement parce que la couleur coûterait une fortune, mais parce qu’elle serait un obstacle à la compréhension du jeune handicapé visuel : même en agrandi, il ne pourrait pas lire une inscription noire sur fond bleu, ou reconnaître des pays voisins représentés dans un dégradé de couleurs très proches. Les figures scientifiques posent aussi problème quand elles sont trop chargées : le grossissement les rend confuses et il faut les retoucher. Quant aux images en trois dimensions, c’est une limite que nous ne pourrons jamais franchir.
– Le problème doit être encore plus épineux, avec le braille ?
– Pas pour les textes, bien sûr, car une fois scannés ou saisis sur ordinateur, on les reformate facilement et les logiciels d’impression sont très efficaces. La majorité du braille est d’ailleurs produite au Groupement des Intellectuels Aveugles de Toulon ou dans d’autres centres. En revanche, pour adapter en relief une figure ou une carte, il faut sélectionner les éléments réellement pertinents et supprimer les autres. Il y a des règles standard pour cela, mais tout dépend du niveau de réadaptation du jeune et du travail que veut lui faire faire son enseignant : dans certains cas, l’élève préfère carrément une description verbale détaillée. Le plus difficile, c’est que les enseignants, surtout en collège et en lycée, ne donnent presque jamais de consignes précises, même à leurs collègues instituteurs spécialisés, alors que cela nous permettrait de répondre beaucoup mieux aux besoins réels des jeunes.
– Vous n’avez donc jamais de contact direct avec les enseignants ?
– C’est arrivé une seule fois en quinze ans ! Tout passe par les instituteurs spécialisés : ce sont eux qui collectent les manuels au programme, qui nous les amènent, qui distribuent les livres agrandis ou transcrits en braille, et qui les récupèrent en fin d’année. Le gros problème, pour eux comme pour nous, réside dans l’imprécision des demandes : nous devons adapter l’intégralité de tous les manuels, souvent sans savoir si tel ou tel enseignant suivra ou non l’ordre du programme, s’il utilisera seulement une partie du livre, ou même, s’il ne s’en servira pas du tout. Le nombre de bonnes collaborations augmente régulièrement, mais ce n’est pas encore la majorité. Par exemple, nous ne pouvons pas tout adapter entre juin et septembre, or on nous prévient parfois avec quinze jours de délai seulement que tel élève va avoir besoin d’un chapitre de la fin du manuel, et nous devons le préparer dans l’urgence.
– Et vous faites tous ces travaux pour les soixante-quatorze jeunes du service ?
– En 2006, nous travaillons pour quarante jeunes seulement, car l’état visuel des autres ne justifie pas d’adaptation, ou leur degré de rééducation ne le permet pas encore. Quatorze sont en primaire, vingt-et-un au collège, cinq au lycée. Deux lisent moitié en agrandi, moitié en braille ; six sont en phase d’apprentissage du braille, et cinq sont des braillistes réguliers. Une vingtaine d’entre eux ont les documents en double exemplaire : un à l’école et un à la maison. Pour un des élèves braillistes, l’ensemble du programme nous est donné régulièrement tous les quinze jours, ce qui est l’idéal.
– C’est quand même souvent la course, non ?
– Heureusement, la durée de vie moyenne d’un manuel est de cinq à dix ans, et la récupération en fin d’année s’est beaucoup améliorée : il suffit alors de refaire les pages abîmées, de changer la couverture et la reliure. Les banques de données permettent des échanges avec d’autres services, surtout pour les livres en braille, mais elles sont encore très insuffisantes pour les agrandis. Le plus grand intérêt de l’informatique est le stockage : en sauvegardant les matrices des livres, nous pourrons donner ou de jeter les exemplaires usagés, et les refabriquer à la demande, en cas de besoin. Ce sera toujours du fabriqué-main, mais nous pourrons le reproduire à volonté en quelques minutes !