Les avéjistes

Il n’y en a qu’une petite cinquantaine en France, et deux d’entre eux, Christine LYNEEL et Christophe AUVERGNE, travaillent dans les services de la FAF-LR : ce sont les rééducateurs en Actes (ou Activités) de la Vie Journalière (A.V.J.).

– La vie journalière, cela va de soi, non ?

– Tous ceux qui savent faire ne se souviennent même pas avoir un jour appris à se laver, à s’habiller, à manger… Et pourtant ! Un enfant qui n’a jamais vu ne peut imiter aucun modèle. Une personne qui, en perdant la vue, sent disparaître tous ses repères ordinaires, doit reconstruire ses habitudes, prendre de nouvelles marques, non pas retrouver ses sensations, mais conquérir des sensations neuves. C’est d’abord à cela que nous les aidons : à faire que les gestes courants ne soient ni une gêne, ni un danger, ni une angoisse… mais qu’ils soient naturels, qu’ils soient la vie et souvent, même, un plaisir. Parce que s’adapter à la mal vision ou à la cécité commence par la confiance en soi et dans les choses.

– Les A.V.J. sont donc au cœur de la réadaptation de la personne ?

– Oui, mais nous contribuons aussi à l’adaptation des objets pour les rendre accessibles. C’est le résultat qui compte : si une personne a trouvé son astuce à elle pour accomplir une tâche, on lui dit bravo et, si elle en a besoin, on l’aide à perfectionner sa méthode. Il suffit que ce soit sans danger et que le but visé soit atteint. À partir de là, tous les moyens sont bons : les avéjistes sont un peu chiffonniers, un peu ferrailleurs, voire fouilleurs de poubelles. Surtout, n’allez pas jeter devant nous un bouchon-doseur de pastis : quel meilleur outil pour qu’un ou une aveugle réussisse parfaitement sa vinaigrette ?

– Il y a quand même du matériel spécialisé ?

– Force est de constater qu’il est rare, cher, et pas toujours bien pensé. Voilà pourquoi nous sommes des professionnels de la débrouille. C’est également vrai pour les enfants : car, quoi qu’en disent les catalogues, les jouets basés sur le toucher, l’odorat ou le goût s’avèrent très pauvres. Tenez ce livre pour apprendre aux tout petits à s’habiller : il a été fabriqué dans notre service en un seul exemplaire. Chaque page matelassée présente un type d’attache, de la plus simple à la plus compliquée : la bande auto-agrippante façon velcro, les différentes formes de boutons et de boutonnières, la fermeture éclair avec butée puis sans butée, les boucles de ceinture, de courroie ou de bretelle, enfin les lacets. Presque toutes ces attaches donnent accès à des poches, dans lesquelles l’avéjiste pourra placer des surprises.

– Cela doit prendre un temps fou ?

– Heureusement, parce que notre SAAAIS est réputé, de nombreux étudiants en travail social ou en ergothérapie demandent à y venir en stage. Ce sont souvent eux qui réalisent le matériel pédagogique. Car, à nous deux, nous n’aurions assurément pas le temps de produire ces petites merveilles. Nous travaillons individuellement avec une douzaine de personnes chacun, une à trois fois par semaine, à raison d’une à deux heures par séance. Et la rééducation se fait le plus souvent au domicile des personnes, parfois à l’école pour les enfants, donc dans n’importe quel coin du Gard ou de l’Hérault. Des ateliers collectifs réunissent aussi nos jeunes plusieurs fois par an, soit au siège de l’Union, soit dans des lieux propices à une activité particulière : le cirque par exemple.

– En fait, vous enseignez l’autonomie ?

– Et, dans un certain sens, la dignité. Notre but est que chaque individu trouve le meilleur équilibre possible entre le fait de trop compter sur les autres, qui rend dépendant, et le fait de ne jamais solliciter les autres, qui rend solitaire. Pour certains responsables ou éducateurs, tout cela semble devoir passer après la formation, en termes d’importance. Mais cela doit passer avant, dans la chronologie : car pour s’adapter, il faut avoir le goût d’aller vers les choses et vers les gens.

Propos recueillis par Bertrand VÉRINE dans le cadre de l’élaboration de l’Union Info.

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