Ils ouvrent les portes de nos services, pour y entrer… et pour en sortir, une fois l’autonomie acquise. Mais construire l’intégration implique aussi d’ouvrir des fenêtres sur le milieu de vie. Trois assistants sociaux travaillent à l’Union des Aveugles. J’ai rencontré Christophe PERO, qui accompagne les adultes dans l’Hérault, le Gard et l’Aude.
– Quand on pense « assistant(e) social(e) », on pense à une femme et à des kilos de dossiers administratifs : apparemment, ça n’est pas tout à fait le cas à l’Union des Aveugles ?
– Il est vrai qu’il y a seulement 6 % d’hommes dans la profession, mais il faut s’habituer à dire aussi « un assistant social », car ils sont de plus en plus nombreux à choisir cette voie. Quant aux dossiers, ils occupent 70 % de notre temps, mais le plus dur, ce sont les milliers de kilomètres que nous parcourons chaque année, pour faire la partie la plus passionnante et la moins connue de notre travail : mettre les gens en relation, créer du lien et même du réseau. Bien sûr, on pense aux assistants sociaux d’abord dans les situations de gêne financière ou de blocage administratif, et nous sommes là pour aider à l’obtention des allocations, au montage des dossiers de matériel spécialisé, etc. Mais ces démarches passent aussi par la mise en place de relais : l’assistant social d’établissement pour un jeune en intégration scolaire, l’assistant social de secteur pour un adulte, ou même l’équipe d’accompagnement pour une personne âgée. dans ce dernier cas, il s’agit surtout de sensibiliser le milieu de vie aux particularités de l’accompagnement d’une personne aveugle. L’immense majorité du temps, notre travail consiste à amener tous les partenaires à vivre avec la personne sans la réduire à son handicap.
– Y a-t-il encore beaucoup de résistances dans la société d’aujourd’hui ?
– Chaque situation de handicap est toujours forcément inédite pour tous les gens qui y sont confrontés, aussi bien la personne elle-même que son entourage. À partir de là, tout est question d’ouverture à l’autre : nous avons même connu une professeur de chant qui estimait son cours inaccessible à un élève amblyope, par ignorance ou par crainte. C’est face à ce genre de blocages que nous pouvons avoir une action de médiateurs, mais à condition de nous rendre sur place, car ce n’est ni par courriel, ni par téléphone, encore moins par lettre, qu’on dénoue un problème. Pour rendre les attitudes plus souples et faire ressentir la complexité et la globalité de la situation d’une personne handicapée, il faut une rencontre directe : souvent, nous accompagnons la personne auprès de quelqu’un qui n’aurait pas voulu la rencontrer au départ.
– Et vous, comment avez-vous été sensibilisés au handicap visuel ?
– Par notre travail à l’Union : et c’est justement cela qui est intéressant. Il y a dans les services de l’Union des spécialistes très compétents sur les différentes facettes du handicap visuel. Notre rôle à nous, c’est d’être généralistes pour viser l’intégration de la personne en fonction de sa réadaptation. Pendant nos trois ans d’études à l’Institut Régional du Travail Social et nos 18 mois de stage, nous nous sommes initiés à toutes sortes de milieux : l’hôpital, la Sécurité sociale, l’Éducation nationale, les structures de formation professionnelle, etc. Cela nous aide à trouver dans l’environnement de chaque personne des terrains précis et des occasions concrètes de socialisation, qui vont permettre de transformer les soucis négatifs en projet positif.
– Vous auriez un exemple ?
– Avec les jeunes, une démarche très intéressante est l’accès aux loisirs dans les lieux non spécifiques de leur quartier ou de leur village, pour qu’ils ne restent pas en circuit fermé entre le SAAAIS et l’école ou le collège. À partir des possibilités locales et des désirs de l’enfant, il faut encourager la famille à tenter l’expérience et, quand ça marche, cela déclenche tout un processus très positif, par exemple une forte motivation pour la locomotion. Ce type d’activités est essentiel afin d’éviter que le SAAAIS, ou même le passage du SAAAIS au SAPPA pour un jeune adulte, ne se transforme en une bulle protectrice, presque aussi fermée qu’un établissement spécialisé.
– Le passage en établissement n’a-t-il pas quand même du bon, parfois ?
– Bien sûr, à condition justement que ce soit un passage, et que l’établissement soit considéré comme un milieu social parmi d’autres. Il faut en parler dès le début, comme d’une éventualité normale, car l’expérience double, l’aller-retour avec l’intégration, est souvent très positive. Dans ce milieu-là, on va pouvoir davantage prendre son temps, se stabiliser, se ressourcer même, en rencontrant des pairs au sens de semblables. Mais cela n’a d’intérêt que pour retourner ensuite vers les autres, vers la vie ordinaire.
– En fait, vous vous demandez toujours ce qu’il y aura après et dehors ?
– Oui, et c’est le plus grand intérêt du projet associatif, des projets de service et du Document Individuel de Prise En Charge. À l’opposé des prestations de service auxquelles certains décideurs veulent nous limiter, cela nous a tous conduits à bien avoir à l’esprit que notre mission est l’accompagnement global de la personne, y compris sur des terrains sans lien direct avec le handicap, et que notre but, c’est qu’elle puisse sortir du service.
Propos recueillis par Bertrand VÉRINE dans le cadre de l’élaboration de l’Union Info.
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