Le directeur

La FAF-LR a pris le risque, dès 1989, de devenir une association gestionnaire de service agréé, en créant dans l’Hérault le premier SAAAIS (1) pour enfants déficients visuels. En vingt ans, ont été créés deux antennes (à Nîmes et Béziers), le SAFEP (2) pour les tout-petits, le SAPPA (3) pour les adultes et plusieurs services annexes dédiés à la formation professionnelle. C’est pourquoi notre Conseil d’Administration a décidé de promouvoir Pierre PETIT du statut de « directeur des services » à celui de « directeur d’association et des services ». Il nous présente lui-même les changements qui expliquent cette décision.

– Commençons par le commencement : en dehors de l’échelon dans la hiérarchie, quelles différences y a-t-il entre les missions d’un chef de service et celles d’un directeur ?

– Nous travaillons évidemment en équipe, en nous répartissant les tâches. Les chefs de service coordonnent au quotidien chaque projet individuel d’enfant ou d’adulte accueilli et les interventions des différents techniciens ; ils rencontrent tous les usagers et beaucoup de partenaires de l’environnement social. En s’appuyant sur leur travail, le directeur négocie avec les autorités de tarification et les autres institutions qui financent notre action ; avec le Conseil d’Administration et son président, il fait évoluer le projet des services en fonction du projet associatif et des nouvelles réglementations. En somme, il assume la conduite générale de tous les services au niveau juridique, budgétaire et politique.

– Cette répartition n’est-elle pas récente ?

– Il est vrai que mon prédécesseur Jean-Louis BOUSQUET a cumulé toutes ces fonctions pour les services enfants jusqu’en 2001, et que j’ai moi-même mis en marche le service adultes sans chef de service de 2003 à 2007. Mais nous l’avons fait par manque de moyens budgétaires, en prenant sur nos congés et notre résistance physique. Cela a eu des aspects positifs au tout début, avec moins de dix salariés et quelques dizaines d’usagers, parce que cela permettait de faire un lien vivant entre tous les participants et toutes les facettes de notre action. Cela ne pouvait pourtant pas durer avec plus de deux cents usagers, plus de trente salariés et toutes les procédures lourdes créées par la loi de 2002 sur l’action sociale et médico-sociale.

– En quoi cette loi a-t-elle changé votre métier ?

– Elle a d’abord été mise en œuvre beaucoup plus rapidement que les précédentes, ce qui nous a obligés à rédiger en quelques mois cinq documents très utiles, mais particulièrement longs et complexes : le projet associatif avec le Conseil d’Administration ; les deux projets de service et les deux référentiels d’évaluation avec l’ensemble du personnel, ainsi que tous les documents nécessaires à l’expression des droits des usagers (livret d’accueil, règlement de fonctionnement, document individuel de prise en charge). Ensuite, cette loi s’est cumulée avec celle de 2005 sur les personnes handicapées, qui multiplie également les procédures et les dossiers. Enfin, le désengagement financier de l’État nous contraint à rechercher de plus en plus de partenaires différents : par exemple, le Conseil Régional pour les lycéens, les Universités (désormais autonomes) pour les étudiants, d’autres instances publiques et même privées pour la formation professionnelle. Tout ce travail ne peut être fait que par un directeur à temps plein, donc par un directeur qui s’appuie sur des chefs de service.

– Est-ce cette situation qui a créé un malaise chez certains salariés ?

– C’est l’enchaînement imprévisible et à contretemps entre le recrutement d’un puis deux chefs de service, mon arrivée en remplacement de Jean-Louis BOUSQUET et l’obligation légale de nous inscrire dans des cadres nettement plus contraignants qu’au début. Cela a provoqué beaucoup de changements en peu de temps. Mais, comme l’a montré le rapport de l’Agence Régionale pour l’Amélioration des Conditions de Travail, le malaise varie selon les personnes : certaines regrettent de devoir appliquer des règles qui s’imposent à tout le monde, alors que d’autres souffraient d’une pénurie d’encadrement qui est maintenant résolue.

– En fait, qu’attend-on aujourd’hui d’un directeur ?

– Tout dépend à quel « on » vous pensez, car nos différents interlocuteurs ont leurs logiques propres. Pour les juristes, le directeur doit être un prestidigitateur qui escamote les problèmes (financiers, sociaux ou même psychologiques) en proposant au personnel et aux usagers des cadres de fonctionnement, des protocoles, des procédures. Cette conception très aseptisée rencontre vite ses limites face aux urgences, aux tensions humaines et à la grande diversité de situation qu’engendre le handicap. Pour les financeurs, le directeur doit être un petit commis des pouvoirs publics qui répartit le contenu des enveloppes budgétaires, donc qui censure les besoins des salariés et des personnes accueillies quand les autorités n’ont pas le courage de le faire elles-mêmes.

– Ces deux logiques vont plutôt dans le même sens : comment leur résister ?

– Il y a une troisième logique, heureusement : c’est l’association qui emploie le directeur, et un décret de 2007 a clairement posé que l’association choisit les missions qu’elle veut déléguer à son directeur. Or, dès mon entretien d’embauche, l’Union des Aveugles m’a demandé de privilégier le projet associatif, l’accompagnement global des personnes et le développement des services.

– Ces contradictions ne risquent-elles pas, malgré tout, de faire passer au second plan les réalités concrètes du handicap visuel et les besoins des personnes qui en sont porteuses ?

– C’est le piège dans lequel il ne faut pas tomber. Mais je sais que je peux compter sur la motivation des salariés, sur un Conseil d’Administration très majoritairement constitué de personnes déficientes visuelles, sur les réunions de consultation des usagers, etc. C’est donc à moi de trouver les solutions pour rendre toutes ces demandes de terrain compatibles avec les contraintes administratives et budgétaires, et les convertir en projet réalisable.

– Auriez-vous un exemple simple ?

– Oui, la transformation du service adultes en SAMSAH (4) : elle va nous permettre de retrouver notre logique d’accompagnement global des personnes. En effet, les usagers seront orientés vers le service par la CDAPH (5) et pourront construire un projet individuel complet, alors qu’aujourd’hui ils sont obligés de décider quelles prestations ils doivent se payer en priorité (très souvent, la locomotion et l’informatique) en laissant tomber les autres qui leur seraient également très utiles (les AVJ et le braille notamment).

– Tout cela correspond à la direction des services, mais en quoi consiste la direction de l’association, donc votre nouvelle mission ?

– En théorie, le directeur des services s’occupe seulement de la marche du bateau, tandis que le directeur d’association et des services doit en plus aider le Conseil d’Administration et son Président à scruter l’horizon, prévoir l’évolution et le développement de toutes les activités. En pratique, il est parfois impossible de tracer une frontière stricte : par exemple, j’ai aidé à la mise en forme du projet associatif à partir des propositions des administrateurs ; de même, une partie des démarches qui ont conduit à transformer le service adultes en SAMSAH (4) relèvent plutôt de la direction d’association. Grâce au second poste de chef de service, qui me décharge de beaucoup de tâches de gestion, nous pouvons maintenant officialiser et augmenter cette part de mon travail.

– Qu’allez-vous donc faire de neuf ?

– D’un côté, certaines améliorations de ce qui existe impliquent un travail de fond qui était incompatible avec la gestion quotidienne. L’exemple le plus crucial est sans aucun doute la question de l’orientation scolaire et de l’insertion professionnelle : les personnes déficientes visuelles restent très pénalisés dans ce domaine et, si nous voulons progresser, il faut trouver le temps d’organiser des échanges entre tous les SAAAIS (1) de France pour essayer d’éviter les erreurs d’orientation et d’élaborer des stratégies de réussite. D’autre part, il faut préparer l’avenir.

– Sur ce point, pouvez-vous raisonnablement être optimiste ?

– Raisonnablement oui, c’est-à-dire avec modération. La principale question à résoudre est : comment allons-nous résister à la concurrence du secteur marchand non spécialisé, qui peut proposer pour moins cher un accompagnement de mauvaise qualité ? Allons-nous nous fondre dans un super-établissement régional regroupant plusieurs services sans véritable liberté de projet ? Nous travaillons plutôt avec la Fédération des Aveugles de France à construire un réseau national de compétences spécifiques. Cette structure doit être suffisamment puissante pour poursuivre la réadaptation par des techniciens hautement qualifiés et pour accompagner, en partenariat avec d’autres spécialistes, les personnes souffrant de plusieurs handicaps. Si nous réussissons ce pari, je n’aurai pas écarquillé les yeux pour rien.

1 SAAAIS : Service d’Aide à l’Acquisition de l’Autonomie et à l’Intégration Scolaire.
2 SAFEP : Service d’Accompagnement Familial et d’Éducation Précoce.
3 SAPPA : Service d’Adaptation Pour Personnes Aveugles.
4 SAMSAH : Service d’Accompagnement Médico-Social pour Adultes Handicapés.
5 CDAPH : Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées.

Propos recueillis par Bertrand VÉRINE dans le cadre de l’élaboration de l’Union Info.

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